mercredi 20 novembre 2013

Des étudiantes de Dammaj parlent de ce qu'elles vivent


“Je ne sais pas si on va s'en sortir” : Des étudiantes de Dammâj parlent de ce qu'elles vivent

Par Andrea Christoph

Terrés dans un bunker de fortune qui plus est bondé, les femmes et les enfants de Dammâj sont reconnaissants de la brève acalmie après la tempête de guerre. Depuis des semaines, ils vivent sous un ciel d'où leur pleut du métal chaud, sur un sol qui tremble sous leurs pieds et avec la mort tout autour. Une femme américaine, que j'appellerai Umm Ahmad, a enduré plus d'une guerre contre Dammâj, mais : « celle-ci est la pire ». Elle n'avait jamais entendu de telles détonations, avec une telle intensité et une telle fréquence, durant toutes les années d'attaques sur Dammâj par les groupes Houthis. Elle s'assoit avec ses enfants après le ‘asr (dans l'après-midi, NdT.), et joue un jeu avec eux pour les distraire. Il y a peu de nourriture et d'eau, mais par contre il y a plein de douilles. Elle invente une sorte de jeu de bowling où ils doivent empiler les obus et voir combien ils peuvent en empiler avant qu'ils ne s'écroulent.

La question que tout le monde se pose, et que beaucoup d'étudiants de Dammâj ont formulée, c'est jusqu'où les Houthis vont-ils aller. Les témoignages oculaires sont horrifiants, et beaucoup n'arrivent pas à comprendre l'état d'esprit de gens qui ne cessent pas leur attaque pour que les morts puissent être récupérés. Ils s'interrogent sur la mentalité de gens qui non seulement bombardent des lieux de prière, empêchent l'aide [humanitaire, médicale] de rentrer, mais en plus ciblent des hôpitaux dans lesquels les installations sont déjà loin d'être suffisantes pour traiter les cas de membres arrachés, d'intestins coupés et de blessures à la tête exposées.

Une étudiante et ressortissante britannique qui préfère qu'on l'appelle Aaliyah, a raconté ce que son mari a vu :

« Un frère... canadien... a reçu un tir à la tête. Un autre frère a vu sa jambe arrachée et a perdu son sang jusqu'à ce qu'il meure car il ne pouvait obtenir de traitement. Quelqu'un d'autre a eu un morceau du haut de sa tête arraché, il grattait à cet endroit et emportait des petits bouts de chair avec, sans se rendre compte de ce qu'il faisait. »

Elle a ensuite exprimé comme le futur était incertain :

« Je ne sais pas si on va s'en sortir vivants. On dirait que c'est une affaire gouvernementale. Que quelqu'un téléphone du gouvernement et dise « donnez-leur (aux houthis) la [montagne] Barrâqah »... ! Nous nous faisons bombardés et tués... qu'est-ce que la Barraqah a à voir ? »

Apparemment elle a beaucoup à voir, car le mont Barraqah est une montagne située à une position stratégique sur un des bords de Dammâj. Elle surplombe les régions environnantes, et a, à de nombreuses reprises, était incluse dans diverses stipulations présentées par les houthis comme condition d'un cessez-le-feu. Mais si les houthis avaient accès à la Barraqah, ils auraient alors accès à tout Dammâj ; les étudiants sont déterminés à ne pas laisser cela se produire. Il en va apparemment de même pour Cheikh Yahya al-Hajouri, même si cela devait lui coûter la vie. Un étudiant a dit que la première ligne des gens qui défendaient Dammâj contre l'entrée des houthis a été tuée, et qu'al-Hajouri était prêt à aller se battre et a dit : « Comment puis-je rester assis ici et attendre alors que mes élèves se font tuer ? »

Un contact a déclaré qu'aujourd'hui à Dammâj, six espions houthis ont été attrapés alors qu'ils analysaient diverses zones clés. L'un d'eux a été attrapé tenant une lampe de poche et observant un fossé protecteur, et vraisemblablement sa profondeur, pour l'expliquer à ses supérieurs. Bien que l'on ne puisse pas dire grand chose, il est clair que les espions faisaient parvenir des informations détaillées à la faction houthie afin qu'ils sachent mieux comment attaquer et où tirer leurs missiles.

« Ils n'ont pas de mesures exactes », a dit le contact. « Il leur faut quelqu'un pour leur dire... augmentez encore de 10 mètres etc., car ils n'ont pas ce degré de précision. »

La mosquée principale d'une zone appelée la maktabah est la cible prioritaire depuis des années, dans l'intention de tuer Yahya al-Hajouri, qui succède à Cheikh Moqbil al-Wâdi’i, le fondateur du plus grand centre d'enseignements [islamiques] orthodoxes du Yémen. Lors de la précédente guerre, un chef houthi avait déclaré qu'en une heure il aurait pris la mosquée de Yahya et s'y assoirait et y mâcherai le qat (une drogue). Il n'a jamais pu atteindre son objectif, et son fils a été tué dans l'heure. Mais il n'est pas invraisemblable qu'un centre d'enseignements puisse facilement se transformer en la plus grande zone de consommation de qat si jamais les houthis en prenaient possession. Bien que la détresse soit grande, il y a aussi beaucoup d'espoir, et cet espoir semble provenir de la foi qui a rassemblé les différentes nationalités et milieux sociaux-économiques dans ce centre d'apprentissage. Il y en a qui disent que des centaines de combattants étrangers y sont arrivés, mais il y a toujours eu des gens de divers milieux qui ont choisi d'étudier dans cet institut et qui maintenant décident de le défendre.

Les sources sur le terrain disent qu'alors que beaucoup de rapports d'informations parlent de « conflits entre Houthis et Salafis », il apparaît clairement d'après différents témoins oculaires que ce n'est pas une situation dans laquelle les deux camps seraient équipés de manière similaire. Bien que dans la culture yéménite il soit assez normal de posséder une arme à feu et que le marché de l'armement soit facilement accessible au citoyen moyen, beaucoup d'étudiants de Dar al-Hadith de Dammaj ne possèdent pas de telles armes standard.
Tandis que les élèves de l'école sont attaqués avec des missiles qui servent normalement à abattre des avions, des armes appelées « hounds » (« chiens de chasse » ? NdT.).

Une famille qui vit ici depuis de nombreuses années explique la façon dont un éclat d'obus descendait de la montagne et était si chaud qu'on ne pouvait le toucher. C'est la fois où cet éclat d'obus est entré dans la main et la jambe de son gendre.

« On n'a jamais vu quelque chose comme cela. Cela entre brûlant à l'intérieur de toi, puis cela se referme de sorte que parfois on ne sait même pas qu'il y a une blessure. »

Son gendre était en train de prier dans la mosquée d'une zone appelée la Mazra’ah quand une bombe est entrée. Il faisait sa prière surérogatoire après la prière en groupe de midi, et six hommes priaient devant lui. Quand l'explosion a eu lieu, on dit que la fumée était tellement épaisse et noire que l'« on ne pouvait pas voir sa main devant soi ».

Après que la fumée s'est dissipée, les gens qui priaient devant lui étaient tous morts.

Les dernières nouvelles pour ce qui est d'aujourd'hui, c'est qu'après l'heure où les enfants jouent avec les obus tombés, l'assistance internationale s'est vue autorisée l'entrée après que cela leur a été refusé plusieurs fois [par les houthis]. Il est arrivé, auparavant, qu'il soit refusé à l'aide d'entrer, et beaucoup d'étudiants ont dit que c'est parce que les houthis nient qu'ils utilisent des tanks et des missiles et ne veulent pas que les groupes d'aide voient ce qu'ils ont fait. En parlant à une représentante zaydie avec le NDC (les zaydis sont un autre groupe chiite à ne pas confondre avec les houthis rafidis, NdT.), la représentante a demandé s'il y avait plus de choses d'écrites concernant ce qui se passait à Dammâj. Elle a aussi allongée ses prières et a déclaré :

« Nous sommes tous attristés par ce qui arrive aux gens de Dammâj. Les Houthis ne veulent pas que les gens voient, mais il est temps que les gens sachent la vérité. »

Source : NationalYemen.com, 3 novembre 2013
www.darulhadeeth.com/houthee-exposed